PERE ET ALLAITEMENT Dr Alain BENOIT, Pédiatre
L’allaitement maternel, on le sait depuis longtemps, favorise la mise en place de ce lien en enrichissant les interactions dont chaque tétée représente condensé».
Qu’en est-il de l’homme qui devient père? La construction paternelle ne se fait pas dans son corps dont les modifications sont minimes. L’arrivée du bébé, si elle peut le bouleverser, ne change guère son fonctionnement neuro-hormonal. La construction paternelle est, avant tout, sociale et psychologique, reposant sur une nomination plutôt que sur une pauvre réalité biologique que représente 23 chromosomes. La réalité de cette paternité nouvelle n’est que reconnaissance de la femme, de la société enfin surtout de l’enfant. La réalité du sentiment paternel est, en effet, une lente construction psychologique qui commence par la contemplation d’un test de grossesse positif et quise continue en une longue route dans l’accompagnement de cet enfant qui seul pourra rendre l’image paternelle que l’homme attend.
LE PERE ET LA GROSSESSE
Si donc la grossesse reste pour l’homme un«temps étrange venu d’ailleurs», la fonction sociale de l’homme y est bien marquée. Il devient génial pour porter les courses, bricoleur de génie pour préparer une chambre pour l’enfant, tous aménagements matériels qui vont occuper l’espace,car 9 mois ce n’est que 9 mois.Mais malgré tous les efforts de la terre, malgré tous les projets de «bon moment»attendu pour avoir un bébé, il n’est rien d’évident pour un homme de devenir le père du ventre de sa femme.
LE PERE ET L’ACCOUCHEMENT
L’accouchement, vu du côté masculin, reste ce temps «hors du temps» qu’il peut partager avec sa compagne qu’il aura, cependant, souvent du mal à reconnaitre dans ce moment rare d’une puissance qu’il avait du mal à imaginer. L’homme à ce moment, tout attentif et prévenant qu’il soit, y côtoie des sommets d’impuissance auxquels sa gestion, habituellement testostéronique, des événements ne l’a pas habitué. Si le couple fonctionne normalement les femmes sont également hyper équipées pour restaurer la réalité de la place de ce garçon et les phrases du type «Si tu n’avais pas été là je n’y serai jamais arrivé» sont les plus gentils et rassurants mensonges qui sont quotidiennement proférés dans les salles de naissance.
La présence de l’homme à l’accouchement n’a aucune réalité biologique mais sa place de compagnon y trouve par contre une réalité importante, surtout dans les yeux de sa femme.
Car là est le nœud du problème. Le bébé ne pourra se représenter une bonne image de son père que si cette image est portée de manière positive par sa mère. S’il est vécu comme bon compagnon, il sera investit comme bon père par son bébé.
LE PERE ET L’ALLAITEMENT
Souvent vécu comme excluant l’homme autant par rapport à son bébé que par rapport à sa compagne, il ne faut pas
s’étonner que la pression sociale soit de l’arrêter au bout des 10semaines officiellement reconnues à la mère pour reprendre sa place dans la société.
Si l’on veut protéger l’allaitement dans ces familles naissantes il nous faut réfléchir à un réel accompagnement du père dans des fonctions qui ne seront pas mises en compétition avec la fonction maternelle. Rien de plus déstabilisant pour un homme de se dire que pour devenir père il faut avoir des fonctions à représentation féminine (les poupées offertes aux petites filles instituent bien le maternage du côté féminin).
Rien de plus déstabilisant pour une femme de se dire que son compagnon vient «chasser sur ses terres». Dans ce moment complexe et fondateur de la vie familiale, quand tous les repères changent, je crois qu’il est essentiel quecet homme et cette femme puissent rester sur des structures personnelles qu’ils connaissent bien et puisse ainsi constituer une base solide à l’élaboration de leur parentalité
Alors comment la testostérone peut elle devenir génératrice d’ocytocine?
QUELQUES PISTES POUR L’ACCOMPAGNEMENT
En laissant au père une place de compagnon, sans injonction à devenir père dans une immédiateté qu’il ne peut ressentir. La temporalité du devenir père sera toujours différente que celle du devenir mère.
Pas de compétition dans l’alimentation. Il y a mille manières pour un père d’être nourricier sans vouloir à tout pris mettre un biberon dans le bec de son enfant. La fonction nutritive du père peut de concentrer sur « le père qui nourrit la mère qui nourrit l’enfant». Et ces nourritures peuvent être terrestres ou non. Dans la tradition le père produisait le blé qui servait à faire la première bouillie de l’enfant. La diversification alimentaire parait un bon moment pour laisser les hommes à leur envies créatrices alimentaires d’un « autre chose» que le lait. La vie moderne a fabriqué les congélateurs pour qu’ils puissent anticiper ce moment attendu avec tant d’impatience. La paternité peut aussi passer par la petite cuillère.
Pas de compétition dans l’approche du corps de l’enfant. L’équipement, là encore, n’est pas le même. Porter, soigner, laver un bébé ne se fait pas de la même manière entre un homme et une femme. Si l’on continue à se battre pour supprimer balances et pendules dans la conduite de l’allaitement, battons nous aussi pour qu’il n’y ait pas une«bonne manière de faire» dans le quotidien. Si l’on regarde d’un peu près ce n’est pas toujours évident. Les hommes, jeunes pères, ont besoin d’intimité pour créer leurs gestes. Et ces moments d’intimité, donc de confiance, sont de merveilleux cadeaux que les femmes peuvent faire à leur compagnon.
Pas de compétition dans la vie du couple. Si la grossesse est un élément qui perturbe la sexualité des couples les hommes disent couramment «qu’au moins elle a une fin!». Si l’accouchement peut renvoyer des images sexuellement complexes, les équipes obstétricales peuvent réfléchir sur la place des hommes et ne pas imposer des visions insupportables. Enfin si «trop c’est trop» les hommes ont, malgré tout, encore la ressource de perdre connaissance, ce qui a défaut d’être glorieux garde une grande efficacité. Pour l’allaitement, le problème est plus complexe. D’abord nous sommes dans un moment où il y a toujours un lendemain. Et pour aborder les problèmes compliqués l’être humain possède une grande facilité à tomber dans la procrastination…On verra ça demain ! Ensuite
la durée de l’allaitement n’est pas marquée dans le temps, on ne sait jamais ni comment, ni quand, ni pourquoi ça va s’arrêter…Ensuite la femme reste sous un régime hormonal que son compagnon n’a pas l’habitude de gérer, il manque cruellement des repères que ce couple avait mis en place. Enfin que sont ces seins qui produisent du lait dans notre société où les seins sont hautement érotisés et pas souvent médiatisés pour leur capacité à nourrir les bébés.
Tous ces problèmes existent et ne doivent pas être banalisés. Ils ont tous des solutions qui doivent être anticipées. L’expérience montre que si toutes ces embûches sont nommées, les couples savent y remédier. La nécessité de l’information avant, pendant et après l’accouchement est primordiale. Mais qui peut penser à un homme dans une maternité? On ne peut faire la place du père que si on y pense. L’homme ne trouvera sa place que si elle existe dans la tête de tous les intervenants autour de la grossesse, de l’accouchement et de la puériculture. Les hommes ont envie de «faire» mais ne savent pas toujours comment, parfois un peu pataud et balourd ils feront comme ils peuvent mais ils feront. Si le regard de sa compagne et celui de la société est bienveillant il pourra se créer une identité, sinon il pourra très facilement se replier dans les stéréotypes sociaux que les médias et la publicité veulent bien lui fournir, ce ne sont pas les meilleurs.
Si, par contre, il trouve une place qu’on lui laisse prendre.S’il reste le compagnon attentif de sa femme dans un moment rare mais complexe de sa vie.S’il peut être lui, sans se sentir menacé dans sa masculinité.
Dans ces conditions, on peut imaginer que, petit à petit, il construira sa paternité avec son enfant, sous le regard bienveillant de compagne qui aura d’autant plus de facilité à le nommer père de son bébé qu’elle le vit comme un compagnon efficace.