Une grossesse inachevée
Une naissance prématurée, même lorsque la vie du nouveau-né n’est pas en danger, est une épreuve qui demande beaucoup de courage et d’énergie aux parents. Car soudainement, tout bascule. Un accouchement dans l’urgence, un bébé poids plume emmené pour plusieurs jours en service de néonatalogie, un retour à la maison mêlé de soulagement et d’angoisse. La prématurité fait vivre aux parents de véritables montagnes russes émotionnelles.
Lorsque l’enfant naît trop tôt, ses parents n’ont pu bénéficier de la fin de grossesse pour préparer sa venue matériellement, certes, mais surtout psychiquement. C’est dans le dernier trimestre de la grossesse que la réalité de la maternité prend forme pour la mère. Elle ne dispose donc pas du temps nécessaire pour se préparer à cette rupture symbiotique.
L‘accouchement prématuré intervient au moment de la période dite parfois, lune de miel, de la grossesse, alors qu’il n’y a pas encore de gêne dans le corps. Le plus souvent les séances de préparation à la naissance, si importantes pour parler de ce bébé qui va arriver et partager avec d’autres le bébé imaginaire, n’ont pu être faites. Certaines mères arrivent de leur travail pour accoucher, d’autres débutent tout juste leur congé prénatal. La soudaineté de l’accouchement plonge ces femmes dans un état confusionnel. Elles ne sont pas prêtes psychiquement.
Les conditions et le déroulement de l’accouchement prématuré, souvent dans l’urgence, en font un acte manqué. La césarienne souvent pratiquée dans le cas de naissance prématurée accentue le sentiment d’étrangeté, d’irréalité. Certaines mères parlent d’une expérience d’intervention chirurgicale, souvent sous anesthésie générale. N’ayant rien maîtrisé de leur accouchement, elles ne l’ont pas vécu comme elle l’avait imaginé, elles n’éprouvent pas le sentiment d’avoir donné naissance. Elles parlent parfois de grossesse et naissance volées, puisqu’elles n’en ont pas le souvenir. Seule la présence et la parole du père peuvent venir faire le récit de ce moment.
Une rencontre différée
Ce nouveau-né que la mère vient de mettre au monde, elle ne peut pas le reconnaître comme le sien. Il n’est pas celui qu’elle attendait, et il lui faudra du temps pour que cet enfant se superpose à celui de ses rêves et devienne le sien.
Séparée de son bébé, la mère peut très bien avoir accouché en niveau 2, et suite à des complications néonatales, le bébé transféré en niveau 3 dans une autre ville. Les seules images de ce bébé pour la mère sont alors celles rapportées par le père grâce à un caméscope, et à une photo prise par l’équipe médicale. Une mère me disait :
« J’ai vu un bébé, mais comment savoir si c’est bien le mien ? Je vois un bébé bouger, intubé, cela pourrait être n’importe quel bébé, je ne ressens rien quand je vois ces images. Elle pleure de ne rien ressentir pour cet enfant, alors que la rencontre ne s’est pas encore faite.
La maman de Noa, né prématurissime à six mois de grossesse nous dit : “je sais que Noa est mon fils, mais je n’arrive pas à m’en occuper. Je lui en veux, les gens autour de moi me disent que je suis folle”. Elle a été soulagée, nous a-t-elle dit, quand elle a su que les mères qui accouchaient comme elle très prématurément ressentaient toutes le même genre de sentiments, et donc “elle n’était pas folle”. Parfois il faut plusieurs jours, plusieurs semaines pour que la rencontre avec ce bébé-là se fasse vraiment.
Le lien naîtra avec ce bébé en différé, médiatisé par les paroles du père et de l’équipe qu’elle aura par téléphone. Elle n’ose d’ailleurs pas les appeler de peur de les déranger. Elle n’a aucune représentation de ce qui se passe en unité de néonatalogie. Il faudra attendre plusieurs jours, pour que remise de sa césarienne, elle puisse se lever et se déplacer jusqu’à la maternité et rencontrer enfin son bébé.
Les mères ont souvent besoin de plusieurs jours en maternité, en néonatalogie elles ont besoin semaines avant de pouvoir s’adapter à leur bébé et au service de néonatalogie.
L’incontournable culpabilité
Ces différents deuils s’accompagnent souvent d’un sentiment de culpabilité d’avoir accouché d’un bébé « pas fini ». Elle a l’impression de ne pas être une mère normale, elle se sent incapable de vraiment donner la vie, en ne parvenant pas à mener sa grossesse à terme. Les sentiments d’inachèvement et d’imperfection entraînent chez elle un sentiment de culpabilité, et voit son bébé comme victime de sa défaillance. Cette culpabilité peut renvoyer à la mère une image de mauvaise mère dont les conséquences se feront sentir dans les interactions précoces.
Elle ressent un sentiment d’échec, elle a échoué dans sa fonction de femme. Elle cherche à réécrire l’histoire de cette grossesse, à essayer de comprendre ce qu’elle a fait ou pas fait pour en arriver là. Elle s’étonne et se culpabilise de n’éprouver aucun sentiment pour cette crevette, bardée de tuyaux, et qu’elle ne peut s’empêcher de ne voir que comme un objet de soins.
Pourtant, cette culpabilité témoigne de toute l’affection qu’elle porte à son enfant.
La maman d’Emma dit : “On se sent un peu responsable” et celle de Zoé : “On n’est pas fière d’avoir accouché d’un si petit”. La culpabilité est également un sentiment très fort, culpabilité de n’avoir pas pu mener à terme la grossesse, de n’avoir pas pu empêcher cet accouchement, de faire vivre à l’enfant des moments si douloureux.
La naissance est l’issue d’une phase, l’aboutissement logique d’un processus psychique longuement élaboré, comme nous l’avons vu dans le temps de la grossesse. La naissance est une épreuve de réalité. Le bébé est un autre, mais pas encore un partenaire.
Une naissance prématurée, par sa brutalité et sa violence, vient interrompre et modifier l’aboutissement d’une histoire. Il n’est pas facile de passer d’une grossesse obstétricale à la maternité psychique, en particulier dans le cas des accouchements prématurés puisque la maman est brutalement coupée dans son évolution psychique, les étapes sont sautées.
Un des premiers sentiments qui entoure la naissance prématurée est celui de l’irréalité de l’événement. Que cette prématurité ait été prévisible (hospitalisation pour menace d’accouchement prématuré, repos avec position allongée stricte) ou non (naissance très rapide sans signe avant coureur patent), “la presque mère” est “mise à plat”, elle se retrouve le ventre vide, sans bébé à regarder, à porter, à entourer, à nourrir, sans fonction ni statut (hormis celui de malade parfois). Souvent, l’urgence médicale a nécessité une césarienne sous anesthésie générale qui crée une rupture supplémentaire de la continuité d’être et qui plonge la mère dans une atmosphère d’angoisse absolue. Pour un accouchement rapide, ce sentiment d’irréalité est également très présent.
Un autre sentiment vécu par ces mamans est celui de la frustration. Elles sont à la maternité, mais n’ont pas le bébé près d’elle. La séparation physiologique n’est pas compensée par la proximité physique et psychologique. La mère se sent inutile voire même gênante auprès de son bébé. Elle a peur de le toucher, de le fatiguer. Elle a du mal a trouver sa place et elle a peur de gêner les équipes.
Le père: un lien entre les équipes et la maman dans un premier temps
Le père va soutenir la rencontre et le lien entre la mère et le bébé. C’est lui qui va faire les trajets entre la maternité et le service de néonatalogie. C’est lui qui va être en contact avec ce tout-petit, va pouvoir dans un premier temps lui parler, lui faire passer un doudou, prendre des photos pour la maman et peut-être les autres enfants. C’est lui qui prend contact avec le service où est transféré le bébé. Il doit non seulement transmettre les informations à la maman, mais il est aussi le lien entre la mère et l’enfant. Il lui faudra décrire l’enfant, les conditions dans lesquelles il se trouve, le service et l’équipe.Seuls les pères sont autorisés à entrer dans les unités de néonatalogie. Une naissance est en général une fête pour la famille et pour tout l’entourage. La mère est choyée, félicitée, entourée, fleurs et cadeaux envahissent la chambre, chacun vient s’émerveiller devant ce si beau bébé. Lors d’une naissance prématurée, tous ces rites sociaux s’effondrent et la mère se sent abandonnée. Toute l’attention est portée sur le bébé. Les proches sont souvent très gênés par la situation d’inquiétude au sujet de l’enfant et n’osent pas être présents.
Les processus d’attachement
L’éloignement plus ou moins long, entrave la relation précoce de la mère avec son bébé, et la rencontre tardive avec un bébé encore inconnu perturbe la construction du lien. La grande immaturité de l’enfant prématuré, sa dépendance et sa fragilité du début de sa vie, associés aux fantasmes des parents (peur de la mort, de la maladie et des handicaps) peuvent déclencher des troubles de l’attachement.
La « préoccupation maternelle primaire » ne peut se manifester, ni s’enrichir au contact du nouveau-né. Ce dernier risque de devenir un étranger de plus en plus difficile à connaître pour la mère si la séparation est trop longue.
Tant que la mère ne voit pas son nouveau-né, il lui est inconnu car il n’y a pas d’interaction possible et l’amour maternel se trouve sans objet. Il est donc important de présenter le nouveau-né avant de le transférer, le seul fait de le voir, de le toucher, permet à la mère de s’en faire une image réelle qui maintiendra accrue sa sensibilité maternelle primaire, dans l’attente de la vraie rencontre.
Dès sa naissance, le bébé est doté de capacités relationnelles. Il est capable d’émettre des messages qui signalent à son entourage qu’il se sent bien ou non, qu’il a faim, qu’il souffre. Par les réponses qu’elle apporte à ses messages, la mère crée chez son enfant un sentiment de sécurité. En retour, elle se sent gratifiée d’être capable de comprendre son enfant. Ces compétences relationnelles permettent au bébé d’entrer en contact avec son environnement et de susciter les processus d’attachement de sa mère à son égard.
Or lorsque l’enfant est précocement séparé de sa mère, ces interactions ne se font pas, elles sont reportées à plus tard. Et même si la mère rend visite à son enfant durant son hospitalisation, les risques de carences relationnelles demeure toujours car c’est la présence continue de l’enfant auprès de sa mère qui permet l’interaction constante dont ils ont tous les deux besoin pour se connaître. (Bowlby, 1969). Le contact indirect, voire même direct mais partiel avec l’enfant ne peuvent favoriser pleinement un comportement d’attachement chez la mère. Lorsque cette dernière est séparée de son bébé à la naissance, ce sont les autres, ces autres qui ont la chance de voir son enfant, qui parlent de lui. Ces paroles le rendent parfois plus irréel et inconnu pour la mère.
La naissance du lien mère-enfant est fondée sur la continuité de la présence du bébé auprès de la mère, sur les échanges et les interactions qui s’établissent entre eux. La séparation corporelle modifie pendant plusieurs mois les conduites de maternage et en retour le comportement de l’enfant. La séparation précoce perturbe l’établissement d’une relation d’attachement harmonieuse.
Or sans ce contact, cette sensibilité maternelle ne peut se développer, car c’est la présence continue du nouveau-né qui est le facteur essentiel de l’attachement selon bowlby (1969). Il est favorable de favoriser le rapprochement mère bébé.
La technique du portage en peau à peau vise à limiter la séparation. La méthode kangourou consiste pour la mère à porter 24h/24 son bébé le réchauffant de sa propre chaleur et l’allaitant à la demande. En couvant son enfant contre elle, dans son odeur, ses bruits, ses mouvements la mère permet une relation proximale, et terminer à l’extérieur ce qu’elle n’a pu mener à terme à l’intérieur.
Il existe des systèmes de portage utilisable même pour tous petits bébés, qui permettront à la mère, comme au père, de prolonger, ex utero le temps de la grossesse. Vous pouvez voir du coté des bandeaux minilou,
L’effet boomerang du traumatisme
Puis un jour, vient enfin le moment de rentrer à la maison. Un moment très attendu car il signifie tant : le bébé est capable de se débrouiller seul. Pour les parents, pour leur entourage, le jour de la sortie de la maternité est synonyme de soulagement.
Mais il faut d’abord apprendre à vivre sans le bruit des machines et apprendre à faire confiance à son bébé, malgré l’impression de fragilité de ce bébé, que les parents ressentent. Apprivoiser la peur de ne pas pouvoir contrôler en permanence les constantes vitales.
Pourtant, l’angoisse ne s’éteint pas toujours complètement, et parfois même, ressurgit brutalement. « Après un peu plus d’un mois passé en néonatalogie, Maxime est rentré à la maison. C’est à ce moment-là que moi, j’ai craqué. Toutes mes angoisses me sont revenues de plein fouet : la mort in-utero de son jumeau, l’accouchement. J’ai pris 7 kilos en 15 jours. Ça a été le couperet, se souvient Sophie. »
Jusque-là, elles avaient refoulé leurs émotions, car la priorité, c’était de tenir. Tenir pour le bébé. Ce n’était pas le moment. Une fois la tempête passée, au moment de la sortie de l’hôpital ou plus tard, à la faveur d’une date anniversaire ou d’une nouvelle grossesse, tout risque de revenir en pleine figure.
« Peu de gens, à part ceux qui l’ont eux-mêmes vécu, sont capables de reconnaître que le parcours de la prématurité est un parcours si difficile. Parler de prématurité, c’est parler de choses graves. Il y a des bébés qui décèdent, d’autres qui gardent des séquelles toute leur vie. Tout cela ne rentre pas dans le moule d’une société qui se veut belle et parfaite, et où la maternité est toujours associée au bonheur. »
Il est important de pouvoir reparler de ses émotions, de revenir sur le temps de la prise en charge médicale et de se laisser soutenir, soit par un psychologue, soit par d’autres parents ayant traversé le cyclone de la prématurité.
Aide et ressources internet
Association Orléanaise sur la prématurité Bébé Plume propose:
Des moments de rencontre et d’échange, à la salle des parents au service des prématurés.
Un fond documentaire et le recueil “paroles d’enfants”, témoignages d’histoires vécues.
Trois opérations cafés/croissants par mois de 10h00 à 12h00 et de 19h à 22h.
Mise à disposition d’un fond social pour aider les familles les plus défavorisées.
Soutien matériel (pèse-bébé,appareil photo numérique, tire-lait…) offert par bébé plume au service néonatalogie du centre hospitalier régional d’Orléans (CHRO).